Hugo | Elle était déchaussée...
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?
Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !
Comme l’eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Les Contemplations (1856)
Commentaires
Elle, une jeune fille ; les détails qui la décrivent (les pieds nus , les cheveux…) en font un être presque
surnaturel .
Moi, l’homme qui la rencontre par hazard, la regarde fasciné . Frappé par sa beauté farouche , il la
compare à une fée .
L’éros est activé tout d’abord par le sens de la vue : des regards qui se croisent , puissants ,
magiques mais il est redoublé à travers d’autres sens : l’ouïe (la voix , les chants des oiseaux … ) , le toucher
( l’eau caressait ….) . Le bois devient l’alcôve idéale , les arbres un rideau qui protège.
J’y vois un hymne à l’amour célébré comme instinct primordial , hardiesse et désir, éros sublimé, sacralisé
dans la nature, stupeur instantanée et douceur naïve .